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Dans un jugement rendu le 15 mai dernier dans l’affaire Camions Daimler Canada ltée c. Camions Sterling de Lévis inc. (que vous pouvez lire en cliquant ici), la Cour d’appel du Québec est venue apporter quelques précisions importantes à l’obligation de renseignement à laquelle est tenu tout franchiseur.

Sans entrer dans le détail des faits de cette affaire, en voici les grandes lignes.

Jusqu’en 2008, Camions Daimler Canada ltée exploitait un réseau de concessionnaires qui vendaient des camions lourds sous la marque Sterling. Camions Sterling de Lévis inc. était l’un de ces concessionnaires.

En 2008, la maison mère de Camions Daimler Canada ltée a décidé de cesser de produire des camions sous la marque Sterling et a donc mis fin aux concessions de vente de camions sous cette marque.Elle a cependant alors offert à certains concessionnaires, dont Camions Sterling de Lévis inc., de conclure de nouvelles ententes de concession limitées aux pièces et au service (à l’exclusion de la vente) des camions Sterling, cette offre étant assortie d’un boni de transition intéressant.

Ce nouveau contrat de concession (signé par Camions Sterling de Lévis inc. en octobre 2009) comportait un terme indéterminé et prévoyait clairement que Camions Daimler Canada ltée pouvait y mettre fin en tout temps sur préavis de 30 jours.

En 2010, M. Pierre Corriveau, une personne qui possédait une autre concession de camions Sterling et qui, depuis 1997, jouait déjà un rôle actif dans la gestion de la concession de Camions Sterling de Lévis inc. a décidé d’acquérir, par le biais de sa société, les actions de Camions Sterling de Lévis inc.

Aux fins de cette transaction, M. Corriveau, qui connaissait déjà fort bien la situation de Camions Sterling de Lévis, a signé le 12 novembre 2010, au nom de ce concessionnaire, un nouveau contrat de concession identique à celui signé en octobre 2009, lequel comportait donc aussi la clause stipulant que Camions Daimler Canada ltée pouvait y mettre fin en tout temps sur préavis de 30 jours.

À peine un peu plus d’un an plus tard, le 19 décembre 2011, Camions Daimler Canada ltée a transmis à huit de ces concessionnaires canadiens, dont Camions Sterling de Lévis inc., un avis de résiliation pour le 12 avril 2012, laquelle date a été par la suite reportée au 1er juillet 2012.

À la suite de cette terminaison, Camions Sterling de Lévis inc., M. Pierre Corriveau et la société de ce dernier qui avait acquis les actions de Camions Sterling de Lévis inc. ont institué un recours en dommages contre Camions Daimler Canada ltée pour le motif que, selon eux, Camions Daimler Canada ltée a manqué à son obligation de renseignement en ne révélant pas à M. Corriveau, au moment où ce dernier procédait à l’acquisition des actions de Camions Sterling de Lévis inc., un fait important, soit l’existence d’un programme rendant probable qu’elle se prévale, à court ou moyen terme, de la clause de résiliation sur préavis de 30 jours pour mettre fin à la convention de ce concessionnaire.

Par un jugement rendu le 21 octobre 2015 (que vous pouvez lire en cliquant ici), la Cour supérieure avait donné raison aux demandeurs et a condamné Camions Daimler Canada ltée à payer à M. Corriveau et à sa société qui avait acquis les actions de Camions Sterling de Lévis inc. des dommages de l’ordre de 207 000$.

Camions Daimler Canada ltée a porté cette décision en appel, d’où le jugement rendu par la Cour d’appel du Québec le 15 mai dernier.

Un aspect important du jugement rendu par la Cour supérieure dans cette affaire consistait dans le fait que le tribunal a condamné Camions Daimler Canada ltée à payer des dommages, non pas à son concessionnaire, mais à la société qui a acquis les actions de ce concessionnaire et à son principal dirigeant.

Ceci soulevait donc l’importante question suivante : Est-ce que l’obligation de renseignement d’un franchiseur ne s’applique qu’à son franchisé ou s’étend-elle aussi à des personnes autres que le franchisé (notamment l’actionnaire et le principal dirigeant du franchisé)?

Voici la réponse que la Cour d’appel a apportée dans ce jugement à cette question importante :

« [19]        Daimler plaide que l’obligation de renseignement est une composante de la bonne foi contractuelle, qui a pour objet de permettre aux parties de s’engager dans un contrat en ayant connaissance des renseignements qui leur permettront de prendre une décision contractuelle valable. Elle fait valoir que le juge de première instance s’est fondé sur la responsabilité extracontractuelle et qu’il a pris appui sur l’arrêt Banque de Montréal c. Bail Ltée pour conclure, à tort, que Daimler a engagé sa responsabilité en omettant d’informer St-Nicolas du fait qu’il était probable qu’elle résilie à court terme le contrat avec Lévis.

[20]        La proposition de Daimler est mal fondée. Le Code civil du Québec consacre le principe de la bonne foi, tant dans l’exercice des droits civils (art. 6 C.c.Q. et art. 1457 C.c.Q.) que dans la conduite des parties à un contrat, de sa formation à son extinction (art. 1375 C.c.Q.).

[21]        L’obligation de renseignement n’est pas réservée aux parties à un contrat, comme la Cour suprême l’a décidé dans l’affaire Bail précité :

Tout d’abord, les remarques précédentes s’appliquent principalement à l’obligation de renseignement contractuelle, mais un devoir de renseignement peut également survenir indépendamment de toute relation contractuelle. Cette question dépasse la portée de ce litige, cependant, car même en l’absence de lien contractuel direct entre Laprise et Hydro-Québec, toute faute délictuelle que la Banque pourrait reprocher à Hydro-Québec se fondera largement sur les obligations contractuelles d’Hydro-Québec à l’égard de Bail/Sotrim, comme nous le verrons. »

La Cour d’appel a donc conclu que des personnes autres qu’un franchisé, tel son principal actionnaire ou son principal dirigeant, pouvaient poursuivre un franchiseur en dommages dans le cas où ce dernier manquait à son obligation de renseignement à leur égard, et ce, même si ces personnes ne sont pas elles-mêmes parties au contrat de franchise.

En second lieu, se fondant sur un volume de base en droit civil québécois, la Cour d’appel du Québec a aussi précisé dans les termes suivants les conditions et l’étendue de l’obligation d’information à laquelle est notamment tenu tout franchiseur :

« [24]        Dans leur traité sur Les obligations, les auteurs Baudouin, Jobin et Vézina expliquent que les conditions et l’étendue de l’obligation d’information ont été définies par la jurisprudence de la façon suivante :

1-      L’information doit être déterminante dans le sens où elle aurait joué un rôle certain dans la décision d’une partie;

2-      L’information doit être connue ou présumée connue du débiteur de l’obligation d’information;

3-      Le créancier de l’information ne doit pas connaître l’information ni être capable de se la procurer ou il doit entretenir à l’égard du débiteur de l’obligation un lien de confiance tel qu’il s’attend à ce que ce dernier lui révèle l’information;

4-      L’obligation de renseignement ne s’étend pas aux informations auxquelles le créancier de cette obligation pouvait accéder avec « une prudence et une diligence raisonnable : c’est l’obligation de se renseigner. »

Dans cette affaire, les tribunaux ont conclu que, bien que M. Corriveau connaissait bien la teneur de la clause de résiliation sur préavis de 30 jours, Camions Daimler du Canada ltée avait quand même manqué à son obligation de renseignement en ne lui divulguant pas, au moment où il a acquis les actions du concessionnaire Camions Sterling de Lévis inc., certains faits alors connus de la haute direction de Camions Daimler Canada ltée qui rendaient prévisible la résiliation à court ou moyen terme de la convention de concession de Camions Sterling de Lévis inc.

La Cour d’appel a donc rejeté (sauf pour y apporter une correction au montant des dommages accordés par la Cour supérieure) l’appel de Camions Daimler du Canada ltée.

Jean H. Gagnon, Ad.E.
Avocat | Médiateur | Arbitre

Vous pouvez contacter Jean H. Gagnon (par courrier électronique à jhgagnon@jeanhgagnon.com ou par téléphone au 514.931.2602) pour toute question ou tout commentaire.

 

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Jean H.Gagnon Avocat, Médiateur, Arbitre