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Jean H.Gagnon Avocat, Médiateur, Arbitre
Jean H.Gagnon
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Où la jurisprudence québécoise en est-elle rendue à l’égard de la possibilité de tenir un franchiseur responsable d’un contrat conclu entre l’un de ses franchisés et un client?
À première vue, l’on pourrait penser que la réponse à cette question est claire puisque le franchiseur n’a pas de lien contractuel direct avec les clients qui font affaire avec ses franchisés : ces clients ayant fait affaire avec le franchisé, et non avec le franchiseur, ne peuvent donc pas poursuivre directement le franchiseur!
Mais est-ce bien le cas?

Les commentaires formulés par la Cour d’appel du Québec dans le jugement qu’elle a rendu le 7 septembre dernier dans l’affaire Ameublement Tanguay inc. c. Cantin (que vous pouvez lire en cliquant ici) nous montrent bien que cette réponse est loin d’être certaine.

Dans cette affaire, la Cour supérieure avait, par jugement rendu le 9 septembre 2016 (que vous pouvez aussi lire en cliquant ici) autorisé une action collective instituée contre plusieurs marchands de meubles et de produits électroniques en raison de leurs pratiques de vente de garanties prolongées.

L’une des entreprises visées, Corbeil Électroménagers inc., qui est un franchiseur, avait invoqué, à l’encontre de cette demande d’autorisation d’exercer une action collective (puisqu’une action collective doit, dans une première étape, être autorisée par le tribunal), qu’elle ne pouvait être visée par ce recours puisqu’elle n’avait pas elle-même vendu quelque garantie prolongée à des clients, ces garanties ayant plutôt été vendues par ses franchisés.

La Cour supérieure du Québec n’ayant pas retenu cet argument, Corbeil Électroménagers inc. a donc porté en appel le jugement de la Cour supérieure qui avait autorisé l’exercice de cette action collective contre elle.

Dans son jugement rendu le 7 septembre dernier portant notamment sur cet appel, voici quelques commentaires pertinents et importants formulés par la Cour d’appel du Québec concernant la responsabilité potentielle d’un franchiseur pour un contrat conclu par l’un de ses franchisés :

« [16] On comprend des motifs du juge qu’il existe notamment une preuve suffisante d’un lien de droit contractuel entre l’appelante et M. Routhier, même si, comme le juge ne manque pas de noter au paragraphe [203], ce dernier a acheté sa garantie prolongée auprès de Gestion Éric Dubreuil inc.

[17] Il est vrai que le nom de Gestion Éric Dubreuil inc. est inscrit en haut de la facture attestant la vente de l’appareil à M. Routhier. Par contre, il est tout aussi vrai que sur la même facture, comme le juge souligne, le logo de l’appelante se trouve à la même hauteur, et que « Gestion Éric Dubreuil inc. » n’est pas formellement identifiée comme le vendeur. De plus, même s’il n’y a pas d’indication sur la facture que Gestion Éric Dubreuil inc. représente l’appelante, le juge prend bonne note, en s’appuyant sur la Pièce R-7.1, que le magasin dans lequel M. Routhier s’est procuré l’appareil apparaît sur la liste des établissements « Corbeil » publiée sur le site web de l’appelante. Ajoutons que la facture Pièce R-7 comporte les mentions « Corbeil demeure propriétaire de la marchandise jusqu’à paiement final » et « Aucun retour de marchandise sans entente préalable avec Corbeil ».

[18] Ces éléments de preuve viennent soutenir la conclusion du juge qu’il existe une preuve suffisante d’un lien de droit entre l’appelante et M. Routhier pour les fins de l’autorisation de l’action collective. En effet, on peut y voir une preuve prima facie que Gestion Éric Dubreuil inc. représente l’appelante, le véritable vendeur, soit par le biais des règles contractuelles du mandat, soit en application de la définition de « représentant » énoncée à l’article 1 o) de la Loi sur la protection du consommateur.

[19] De surcroît, comme le juge le laisse entendre au paragraphe [204] de ses motifs, il existe une preuve prima facie d’un lien de droit entre eux, et ce, même si on ne qualifiait pas l’appelante de commerçant dans sa relation avec Routhier. En effet, il est loisible d’en arriver à cette conclusion vu la preuve prima facie de la qualité de l’appelante en tant que publicitaire des garanties prolongées vendues par Gestion Éric Dubreuil inc., et ce, en application des articles 219, 220 et 227 de la Loi sur la protection du consommateur.

[20] Mais il y a plus.

[21] Au paragraphe [205], le juge fait référence à l’allégué 59.1 pour appuyer sa conclusion qu’il existe une preuve suffisante d’un lien de droit entre l’appelante et l’intimé Routhier et pour ainsi soutenir sa décision d’autoriser l’action collective.

[22] Il est vrai que, règle générale, un franchiseur comme l’appelante – à supposer qu’on accepte la qualification de la relation qu’elle propose – n’a pas de lien contractuel direct avec le consommateur; d’ordinaire, c’est le franchisé – ici Gestion Éric Dubreuil inc. – qui conclut le contrat à l’égard duquel le franchiseur doit être considéré comme un tiers. Toutefois, un franchiseur peut s’exposer à une responsabilité extracontractuelle envers celui qui a contracté directement avec le franchisé.

[23] En effet, la responsabilité du franchiseur envers le consommateur serait de nature extracontractuelle si elle est fondée sur la théorie du mandat apparent énoncée à l’article 2163 C.c.Q. Comme l’explique l’auteur Frédéric Gilbert, un franchiseur peut être tenu responsable des actes de son franchisé s’il « a donné des motifs raisonnables de croire que le franchisé était véritablement son mandataire » et s’il « n’a pas pris les moyens adéquats pour éviter une telle méprise alors que celle-ci était prévisible ».

[24] Force est de constater que l’intimé Routhier allègue, au paragraphe 59.1 de la requête, des éléments factuels suffisants pour établir une cause défendable vu l’existence possible d’un mandat apparent entre l’appelante et son franchisé. De plus, c’est aussi une preuve prima facie que Gestion Éric Dubreuil inc. serait la représentante de l’appelante – toujours selon la norme applicable au stade de l’autorisation – au sens de la deuxième partie de la définition de « représentant » à l’article 1 o) de la Loi sur la protection du consommateur : « une personne [.] au sujet de laquelle un commerçant ou un fabricant a donné des motifs raisonnables de croire qu’elle agit en son nom / a person [.] regarding whom a merchant or a manufacturer has given reasonable cause to believe that such person is acting for him ».

[25] Dans tous les cas, il convient de rappeler que le juge ne pouvait trancher définitivement la question factuelle qui doit plutôt être laissée au juge du fond. C’est ce qu’il a fait, à bon droit, au paragraphe [206] cité plus haut.

[26] L’appelante a certes raison de dire que, contrairement au contexte factuel de l’arrêt Fortier, où l’argument du franchiseur quant à l’absence de lien de droit est rejeté, les mots « représenté par » n’apparaissent pas sur la facture de l’intimé Routhier en l’espèce. Toutefois, le dossier comporte plusieurs autres indices, comme nous l’avons noté, appuyant la conclusion du juge ici selon laquelle il existe, aux fins de l’autorisation, « un lien de droit fragile, mais réel » entre l’appelante et l’intimé Routhier. Le juge relève, par exemple, que la raison sociale et le logo de l’appelante étaient présents sur la devanture du magasin, à l’intérieur de celui-ci ainsi que sur la facture et la garantie prolongée achetée par l’intimé Routhier. À cela s’ajoute le fait que le magasin choisi par M. Routhier apparaît sur la liste des établissements « Corbeil » publiée sur le site web de l’appelante. Le fait que son logo ainsi que le mot « Corbeil » soient reproduits à la facture, tout comme les mentions que Corbeil retient la propriété de l’objet vendu, alimentent, aussi, l’impression qu’il existe un mandat entre l’appelante et Gestion Éric Dubreuil inc. »

La Cour d’appel du Québec a donc rejeté l’appel de Corbeil Électroménagers inc. et maintenu la décision de la Cour supérieure du Québec autorisant l’exercice de cette action collective contre de Corbeil Électroménagers inc. à l’égard de la garantie prolongée vendue à un consommateur par l’un de ses franchisés.

De façon générale, afin de pouvoir se prémunir face au risque d’un recours (dont une action collective) de la part d’un ou plusieurs clients ayant fait affaire avec ses franchisés, un franchiseur devrait (a) ne pas être le fabricant, l’importateur, le distributeur ou le grossiste du bien vendu au client, (b) ne pas prescrire au franchisé la source d’approvisionnement du bien ou du service vendu au client, et (c) s’assurer que chaque client soit pleinement informé, au plus tard au moment de faire son achat, du fait qu’il contracte seulement avec un franchisé indépendant et autonome, et non avec le franchiseur.

Aussi, devant la difficulté pour plusieurs franchiseurs de toujours satisfaire tous ces critères et, aussi, devant les quelques incertitudes qui, dans tous les cas, demeureront souvent face au risque d’un recours institué par un client contre le franchiseur, il est important pour tout franchiseur de s’assurer que ses couvertures d’assurance le protègent adéquatement à l’encontre de tout recours (y compris toute action collective) qui pourrait être institué par toute personne ayant fait affaire avec ses franchisés.

Jean H. Gagnon, Ad.E.
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